Unité ou diversité, faut-il choisir ?

Plusieurs thèmes importants de la théologie protestante sont issus des lettres de Paul. Par exemple : les cinq «solas» (sola scriptura = par l’Ecriture seule ; sola fide = par la foi seule ; sola gratia = par la grâce seule ; solus Christus = Christ seulement ; soli Deo gloria = à Dieu seul soit la gloire), la théologie de la croix ou la théologie de la substitution, selon laquelle le christianisme aurait remplacé le judaïsme. Cette théorie a été amplement critiquée, mais la relation entre le judaïsme et le christianisme naissant reste difficile à cerner, en particulier dans l’œuvre de Paul. Dans l’épître aux Galates, une distinction violente est exprimée autour de la circoncision. Mais au chapitre 3, l’apôtre Paul plaide en faveur d’une réconciliation : « il n’y a plus ni Juif ni Grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a plus ni homme ni femme » car toutes ces personnes sont une en Jésus-Christ (Ga 3,28 NBS). Aux côtés des juifs et des non-juifs, l’apôtre signale deux autres paires d’oppositions. Rend-il justice à deux autres formes de discrimination de son époque ? Depuis la fin des années 1970 et la « Nouvelle perspective » qui redécouvre Paul dans le contexte du judaïsme, Ga 3,28 a été interprété comme le point culminant d’un plaidoyer pour l’universalité du salut en Christ.

Ce verset peut inspirer un idéal d’unité. Il est possible de faire corps en Jésus-Christ. Il révèle aussi que ce corps est composé de groupes opposés les uns aux autres. La distinction entre « eux » et « nous » n’est-elle pas fondamentale de la notion même d’identité sociale ? Sans doute ! Mais comme l’ont montré les sociologues (voir par exemple M. Salzbrunn, De la diversité aux appartenances multiples, 2019), s’il convient de tenir compte de la diversité de tout groupe, il est important de ne pas réduire les personnes qui le composent à ces catégories (ici : ethnie, statut social, genre). Tout individu est traversé de différentes appartenances (A. Maalouf, Les identités meurtrières, 1998). Unité, diversité, faut-il donc vraiment choisir ? La question vaut la peine d’être posée pour Ga 3,28 aussi bien qu’aujourd’hui. Un plaidoyer pour la diversité dans l’unité, ou pour l’unité dans la diversité, résonne notamment dans la nébuleuse protestante.

Un ami pasteur m’a dit un jour : « le protestantisme est le lieu où deux personnes lisent la Bible et trois mouvements sont fondés ». Nous avons ri. J’ai souvent repensé à son histoire. Triste réalité ? Richesse ? Comment faire justice à l’unité, sans gommer les différences qui, parfois, cachent des discriminations ? L’enjeu réside dans les perspectives, me semble-t-il. Fruit de l’union de deux personnes aux couleurs de peau différentes, je suis souvent confronté à la question de l’unité dans la diversité. En général, les personnes que je rencontre considèrent d’abord ma différence. En d’autres termes, un peu trop simples et caricaturaux, en Europe on me considère comme un noir, en Afrique comme un blanc. Mais je me sais métis. Blanc et noir. Ni noir, ni blanc. Quelle(s) perspective(s) choisir ? Je relève au moins trois options : 1) souligner la différence, 2) faire valoir la ressemblance 3) ou incarner les deux appartenances, dans l’unité.

Pour revenir à Ga 3,28, le fait de nommer des oppositions permet de reconnaître qu’elles existent et qu’elles sous-tendent des inégalités. Ga 3,28 n’est pas #MeToo, mais le verset exprime un espoir de réconciliation et, peut-être trop timidement pour un lectorat contemporain, une solidarité avec certains groupes de personnes discriminées. Dans un plaidoyer pour l’unité, Paul rend justice à différentes appartenances de celles et ceux qui sont en Christ. Cet équilibre entre unité et diversité en Christ m’apparaît essentiel. C’est pourquoi je suggère ici de lire Galates 3,28 à la lumière de la diversité des Perspectives protestantes, pour découvrir, dans notre église aussi, la richesse de certains « métissages » encore trop souvent mis sous le boisseau.