Peut-on sérieusement croire à la résurrection?

Vous êtes vous déjà trouvés en position de devoir présenter le contenu de votre foi chrétienne à une personne de bonne volonté, curieuse de vous entendre mais peu au fait en matière de religion ? Quand je m’y essaye, en général les choses se passent bien tant que j’en reste au message d’amour et d’acceptation de Jésus, bref à ce fond éthique qui est d’autant plus audible à mon interlocuteur qu’il a eu plusieurs siècles pour se diluer dans notre culture. Mais les choses se gâtent lorsque la Résurrection s’invite dans la conversation. On prend un air surpris : « Comment, tu crois vraiment à ça, toi ? », et je me retrouve quelque part entre l’ufologue et le raélien. Voici le dilemme : d’un côté, nous tenons à la Résurrection. Nous sommes encore sous le coup de l’avertissement de Paul : « Si le Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine » (1 Co 15, 17). De l’autre côté, la Résurrection est proprement de l’ordre de l’incroyable. On veut bien me passer un ou deux miracles, mais qui peut sérieusement croire à cette théologie de morts-vivants ?

Mais qu’est-ce seulement que croire ? Nous comprenons souvent la croyance comme un assentiment que nous accordons à une proposition, comme par exemple celle-ci : « Jésus a été relevé d’entre les morts ». Mais quelle preuve pourrions-nous bien apporter de la vérité de cette proposition ? Disons-nous cela sur la base d’un raisonnement logique ? Certes non, quoique bien des ouvrages de dogmatique aient été écrits qui semblent vouloir faire entrer la Résurrection dans le casier qu’on a préalablement étiqueté pour elle. Fascinatio logicae. Disons-nous alors cela sur la base d’une expérience ? Sans doute, mais une expérience de deuxième degré, puisque ce n’est pas nous qui avons fait l’expérience d’un Christ vivant, mais des femmes et des hommes qui ont vécu il y a deux mille ans. L’expérience de la Résurrection ne nous est pas directement accessible comme elle a pu l’être aux apôtres – et l’a-t-elle été à eux-mêmes ? Nul n’était présent au tombeau, et les Evangiles nous présentent l’expérience de la Résurrection comme une arrière-pensée, une pensée de l’arrière, un événement dont on ne prend conscience qu’après coup. C’est cette conscience à retardement qui fait revenir les pélerins d’Emmaüs sur leurs pas, c’est elle qui pousse Thomas à retourner dans la maison où les apôtres se terrent. Si donc on me réclame les preuves de ma croyance, combien maigre sera la moisson !

Or, il ne s’agit pas d’établir l’existence factuelle de la Résurrection sur la base de données d’expérience. Si ces données ont existé, elles nous sont à jamais inaccessibles. Il faut plutôt se demander s’il est rationnel que celles et ceux qui ont fait cette expérience, interprétée comme le signe d’un Christ vivant parmi eux, se soient convertis et aient décidé de conduire leur existence à la lumière de cette expérience. Selon cette perspective, la croyance ne porte pas sur une proposition extérieure à l’individu, mais elle désigne une certaine attitude, une façon d’agir. Les apôtres, confrontés à une expérience religieuse dont l’écho seul nous est encore perceptible, ont décidé de faire confiance. La question nous est posée à nous aussi, par delà les siècles, dans les silences du texte. Si nous découvrons en nous la même propension à la confiance, il n’y a rien que de raisonnable à croire en cet écho, et à le laisser transformer nos vies comme il le fit pour tant d’autres. Alors, peut-on sérieusement croire en la Résurrection ? Nous pouvons sérieusement vivre notre foi chrétienne, et c’est cette vie retournée par le Christ qui nous fait dire – non sans risque, non sans pari – qu’il faut bien que ce Jésus, qui fut crucifié, se soit relevé d’entre les morts.