Que faisons-nous de nos injustices ?

Celles que nous subissons, et celles que nous commettons ? L’un des tout premiers récits de la Bible nous invite à réfléchir sérieusement à cette question. Il s’agit de l’histoire de Caïn et Abel. Vous connaissez cette histoire des deux frères, dont l’un tue l’autre. Vous souvenez-vous d’où est parti ce geste ? Il y a toujours plusieurs commencements possible à une histoire. Retenons pour aujourd’hui celui-ci : alors que Caïn et Abel apportent tous deux une offrande à Dieu, « l’Eternel tourna son regard vers Abel et son offrande, mais il détourna le regard de Caïn et de son offrande. » Bien des explications ont été cherchées et proposées à ce choix de Dieu. Force est de constater qu’aucune n’est donnée par le récit biblique. Nous, lecteurs et lectrices, sommes en quelque sorte placé.es dans le point de vue de Caïn : nous ne comprenons pas plus que lui ce qui arrive. Et nous pouvons nous sentir en empathie avec lui : qu’a-t-elle de mal son offrande ? Il offre le fruit de son travail, dans un élan de générosité ou de reconnaissance. Comme son frère. Caïn le ressent comme une injustice subie et il se met en colère. Que celui ou celle qui ne s’est jamais mis.e en colère dans une situation analogue lui jette la première pierre…

Dans une situation où nous ressentons de l’injustice, notre premier mouvement est d’accuser les autres : accuser celui ou celle nous a préféré un.e autre, ou accuser notre rival.e. Le second est de chercher à comprendre l’origine de l’injustice, de lui trouver une cause. Ici, le texte biblique nous invite à décaler profondément notre regard : en refusant de donner une explication, le récit biblique met l’accent sur la réaction de Caïn. Comme pour nous dire : « des moments où vous sentirez injustement traité.e, il y en aura toujours… la question est : qu’allez-vous faire de cela ? »

Dans le récit de Genèse 4, Dieu voyant Caïn irrité et abattu s’approche de lui et l’interroge, pour susciter la réflexion : « pourquoi t’irrites-tu ? ». Il décrit : « le péché, tapi à ta porte, te désire. » Dans la colère qui envahi Caïn comme elle peut nous envahir, le péché (c’est-à-dire ce qui divise, ce qui détourne de Dieu) est là. Dieu offre sa présence et ouvre un chemin de sortie : « Mais toi, domine-le. » Il n’y a pas de fatalité, il y a une marge de choix possible. Caïn ne domine pas sa colère. Nous non plus, pas toujours. Et si la plupart d’entre nous n’a jamais tué, le désir de vengeance et de violence nous est bien familier… Qui n’a jamais regretté un mouvement d’humeur, un geste ou une parole posé.e dans le paroxysme de l’émotion ?

Le récit de Caïn et Abel ne nous dédouane pas des conséquences de nos actes : Abel est mort, bel et bien mort ! La gifle donnée, l’insulte proférée, la trahison commise, ne s’effacent pas. Les sangs d’Abel crient vers Dieu ! L’injustice commise par Caïn en réaction à l’injustice qu’il a ressentie n’est pas effacée. Elle ajoute de la souffrance à la souffrance.

Mais Dieu, encore une fois, s’approche de Caïn, lui parle, l’écoute, le protège : il place un signe sur lui, en réponse à sa peur. Dieu n’est pas là pour la vengeance, mais pour la vie.

Et nous, que faisons-nous de nos sentiments d’injustice, pour éviter qu’ils ne nous poussent à commettre une injustice plus grande encore ? Et si, contrairement à Caïn, nous saisissions la main tendue de Dieu ? Nous ne sommes pas obligé.es de succomber à la colère, il y a une autre voie, une voie qui conduit à la vie. Le Dieu biblique est le Dieu des commencements toujours à nouveau possibles. Oserons-nous recommencer à marcher avec lui après une injustice subie ? Et après une injustice commise ? Pour que la vie se fraye un chemin dans le chaos.