Justice économique : pour qui ? pour quand ? qui en paiera le prix ?

Depuis la nuit des temps – dans la Bible depuis les plus vieux parmi les textes prophétiques, ceux rassemblés sous le nom du prophète Amos vers le VIIIe siècle avant Jésus-Christ – la justice économique évoque le juste salaire donné au travailleur et le juste prix payé au producteur. Cette justice veut que l’ouvrier puisse vivre décemment de son travail, lui et sa famille. Cette exigence naît dans une société qui n’est plus celle des nomades (où la justice économique se confondait avec une bonne répartition des biens et des charges), mais celle qui se sédentarise dans les villes, engendrant depuis cette époque une accumulation chez les uns, la pauvreté chez les autres. Mais toujours se posent les questions : qui bénéficie des largesses ? pour quand ? et surtout qui en pâtit ?

Depuis le début des temps modernes, le capitalisme provoque à l’échelle mondiale une exigence particulière de justice économique. Les maîtres des machines organisent la division internationale du travail en spécialisant chaque région, chaque machine et chaque ouvrier dans une tâche spécifique. Ce qui augmente la productivité du salarié et des sous-traitants, en vue d’un profit plus grand. Pour qui ? pour quand ?

Cette spécialisation engendre en outre deux effets qui nourrissent l’injustice économique. D’où la question : qui en pâtît ? Attaché à une tâche spécifique, l’ouvrier perd de vue l’œuvre à laquelle il contribue. En outre, il perd la maîtrise de la valorisation de son apport, d’autant plus qu’il est payé en fonction de l’état du marché du travail dans le bassin d’emploi où il vit, et non du produit final.

Les remèdes utilisés jusqu’ici (nationalisation, coopératives ouvrières) ne suppriment pas totalement ces deux injustices. Les assurances sociales, les impôts redistribués remédient partiellement à cet état de fait, mais uniquement pour les personnes qui y ont droit dans les entreprises et les pays les mieux organisés.

Aujourd’hui, les moyens électroniques de contrôle accentuent l’injustice économique qui réduit le travailleur à une mécanique. Aliénation disent les philosophes, vécue comme une perte du sens et de la dignité. L’organisation du travail prend alors une forme plus pernicieuse que celle de l’antique «organisation scientifique du travail» caricaturée en 1936 par le film de Charlie Chaplin Les temps modernes. L’électronique permet en effet d’appliquer à l’entreprise des ‘modèles’ cohérents conçus par des techniciens. Ces modèles technocratiques appliquent des lois, des décrets, des règlements, des procédures, des protocoles, des rubriques, qui visent la performance dans la sécurité. Pour quand ? Et ceux qui assument les risquent sont-ils ceux qui en profiteront ? Telle est la question fondamentale de la justice financière.

Du coup, sous couvert de sécurité face à un avenir incertain (pain quotidien de l’économie), domine dans le monde du travail, ce que les anglo-saxons nomment la compliance, qui est le fait de se soumettre strictement – littéralement complaire – , se plier aux injonctions, normes et règles édictées par une instance qui surplombe le travailleur. Ce qui transforme le travail humain en un schéma rationnel, mécanique et froid.

Pour plus de justice, il est temps de revenir à ce que désigne le mot économie. Littéralement l’économie désigne l’ordre de la maison (tout groupe, potentiellement la terre entière). Cet ordre permettrait à tous ceux et toutes celles qui y habitent d’ajuster (d’où justice) la libre contribution de chacun pour le bien ‘commun’ (la communauté humaine) qui est le bien de chacun par la solidarité de tous.