“Quelle justice climatique pour notre monde ?”

Quelle justice souhaitons-nous pour notre monde ? C’est de cette question qui ouvre à l’agir qu’il faut partir, sans cesse, dès lors que nous nous interrogeons sur les enjeux de justice climatique. Pour y répondre, revenons à deux points essentiels que nous enseigne l’écologie quant à la situation terrestre actuelle. Premièrement, les sciences environnementales n’ont eu cesse de rappeler que le mode de production et de consommation qu’ont adopté les anciennes puissances impérialistes occidentales (appelons-le capitalisme et consumérisme pour faire simple) repose sur un principe intrinsèquement injuste : il n’est pas universalisable. C’est ce fait, indépassable, qui s’exprime lorsqu’on nous dit qu’il faudrait plus de deux planètes pour que tous les êtres humains vivent et consomment comme nous le faisons en Suisse (https://www.bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/developpement-durable/autres-indicateurs-developpement-durable/empreinte-ecologique.html). Ainsi, les structures fondamentales sur lesquelles s’est bâtie notre société sont inextricablement liées à un rapport de domination entre êtres humains. Le confort et la richesse de certain-es se sont faites et continuent de se faire au détriment d’autres. À cet égard, je vous invite à lire Le Grand Dérangement, du romancier indien Amitav Ghosh. Un second élément que nous apprend l’écologie, et qui est au cœur de la justice climatique, révèle que les conséquences des mutations de notre environnement sont réparties de manière profondément inégale sur Terre. Le Groupe intergouvernemental d’expert-es sur l’évolution du climat (GIEC) a établi, en 2022, que 3,3 à 3,6 milliards de personnes habitent dans des régions fortement vulnérables aux changements climatiques (https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/chapter/summary-for-policymakers/). Et ces personnes sont, pour la plupart, les êtres humains qui vivent déjà dans les situations les plus précaires et qui sont, en toute logique, les personnes qui consomment le moins sur Terre. Si la Suisse peut tout à fait subir d’importantes transformations environnementales, elle ne sera pas menacée, contrairement à l’Asie du Sud, par de terrifiantes et létales vagues de chaleur humide (https://global-climat.com/2020/06/01/emergence-de-niveaux-dangereux-de-chaleur-et-dhumidite/. Si vous souhaitez découvrir, grâce à la fiction, ce que peut être le vécu d’une telle catastrophe, le premier chapitre du Ministère du Futur5 de l’écrivain Kim Stanley Robinson est redoutablement efficace. En somme, le constat d’injustice s’exprime aisément : tout le monde n’est pas dans le même bateau. Si, éventuellement, nous sommes toutes et tous dans le même océan, certain-es nagent à même l’eau, et d’autres sont dans des Yachts. C’est ce qui se joue, à chaque instant, au niveau de la justice climatique. Et encore, je n’ai mentionné que deux éléments parmi une multitude.

Il se peut qu’une vague de culpabilité nous submerge face à ce constat. Ce sentiment, certes désagréable, est normal. Mieux encore, je trouve qu’il est sain. Car, que nous regardions le passé, le présent ou le futur, vis-à-vis de l’écologie, c’est une terrible injustice. Cependant, il ne faut ni nier cette culpabilité, ni lui céder. Elle est un point de départ . Pour avancer, revenons à ma question initiale : quelle justice souhaitons-nous pour notre monde ? Vers quelle justice nos convictions nous poussent-elles ? Comme amorce de réflexion, qui permet de considérer avec sérieux et honnêteté ce que j’ai mentionné ci-dessus, mais évite la paralysie coupable, le théologien protestant Jürgen Moltmann propose de penser la justice, comme étant justifiante :

« Ici, juger avec justesse (righteousness) ne signifie pas juger les actes bons ou mauvais : cela englobe tous les aspects de salvation (saving) et de compassion, d’aide et de soin, justifiant et réparant. Cela ne se confine pas à l’être humain, mais s’applique d’abord à la terre, avec laquelle les êtres humains vivent et souffrent. En ce qui concerne les êtres humains, les actes ne sont pas pesés sans respect des personnes, mais les personnes sont perçues dans leur misère et leur souffrance, afin qu’on leur donne leurs droits, qu’on les élève et qu’on les rende justes. […] Sauver, compatir, soigner et élever sont ici la forme de justice de Dieu qui favorise la vie. » (Moltmann, J. (2012). Ethics of hope. SCM Press, p.178)

L’écologie c’est le combat pour la vie. La justice environnementale, c’est le rappel sine qua non que ce ne doit pas être la vie de quelques êtres humains, mais celle de toutes et tous. Compatir aux torts historiques et aux inégalités présentes, réparer ce qui est réparable et transformer les agirs individuels et collectifs pour que nous favorisions la vie actuelle et future : voilà une piste inspirante pour s’orienter vis-à-vis de la justice climatique.