“Faut-il brûler les chrétiens du dimanche ?”

Les chrétiens du dimanche, ce sont ces gens qu’on n’aperçoit — Oh ! je ne dis pas même à chaque culte dominical, mais disons de temps en temps, quand l’attrait des croissants chauds en famille ou d’une belle mâtinée de pêche n’a pas été le plus fort. De nos jours du reste, on n’a souvent même plus l’occasion de les apercevoir, puisqu’ils peuvent suivre le culte quand ça leur chante, sur Internet.

Vous avez remarqué que l’expression « chrétiens du dimanche » ne s’emploie qu’au pluriel : c’est qu’on ne sait jamais très bien de qui il s’agit, parti mouvant aux contours flous, qui pourrait rendre à nos Églises leur lustre d’antan s’il voulait bien seulement s’impliquer dans sa paroisse, ou même contribuer dignement à l’écôt. On ne sait jamais bien qui sont ces chrétiens du dimanche, mais une chose est sûre : ce n’est pas vous ; ce n’est pas moi.

Pourtant, « chrétiens du dimanche », voilà une expression qui nous en apprend moins sur ceux qu’elle désigne que sur nous qui l’employons. Elle exprime un sentiment de frustration de notre part, ainsi qu’un jugement de valeur envers ceux dont le niveau d’engagement et de fidélité est tenu pour insuffisant. Celui qui l’utilise se place dans la posture du frère aîné confronté au retour du fils prodigue, ce qui n’est pas le rôle le plus enviable dans cette parabole. Il est vrai, pourtant, que la frustration doit être cruelle, quand on s’est privé toute sa vie pour des bienfaits que le plus mauvais des fils récolte au centuple sans avoir jamais rien semé. Qui dira le douloureux prix d’orgueil que paye le chrétien zélé dans une Église qui accueille chacun, même et surtout ceux qui ne le méritent pas ? C’est que notre religion est injuste par nature : le salut des uns, qui ne le méritaient pas, fait la spoliation des autres, qui le méritaient. Certes les deux sont sauvés, mais le moyen de ne pas sentir cette grâce dévaluée quand on la voit distribuée à pleines poignées à tous les vents ?

L’une des intuitions de la Réforme a été de vouloir prémunir l’Église contre un christianisme à deux vitesses : les croyants ordinaires d’un côté, qui doivent respecter les dix commandements et communier une fois l’an, et le clergé de l’autre, appelé à une foi plus exigeante, mais aussi plus méritante. Le sacerdoce universel des croyants nous place chacun dans un rapport direct à Dieu, et son corollaire est que nul ne peut juger extérieurement de la relation qu’autrui entretient avec son Dieu. Cette intuition du xvie siècle nous est étonnament contemporaine, puisque les façons de croire se sont profondément individualisées ces dernières décennies, à mesure que le rôle de ciment social des Églises diminuait. Ne soyons donc pas une Église qui distinguerait les chrétiens du dimanche de ceux qui le sont aussi le reste de la semaine, mais acceptons chacun tel qu’il est, accompagnons-le là où il va — quand bien même ce serait à la pêche.